La data au service de l’aménagement public

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Les SIG de pilotage foncier jouent un rôle essentiel dans l’optimisation du lancement et de la gestion des projets d’aménagement : quelles données interopérer, comment les partager ? Des outils propres à chacun des quelques 400 aménageurs publics émergent en lien avec l’intensification d’une culture de la donnée dans leur domaine d’activités. En quoi cela permet tout à la fois de piloter l’activité, évaluer son impact et faire évoluer les métiers concernés ? Retour d’expérience. Si le cadre est donné par la loi (SRU, UH, Grenelle, Climat…) et l’impulsion par la planification (Scot, PLU…), l’activité historique des aménageurs reste, du fait du temps long des projets, encore majoritairement d’extension urbaine, à concilier avec une part croissante d’opportunités complexes à mettre en œuvre en milieu urbain constitué ou délaissé. Engager opérationnellement la sobriété foncière nécessite de mieux maitriser tout à la fois les stocks et le risque opérationnel, et la sécurisation des opportunités de « (réa)ménagement » au sein du tissu existant (friches, dents creuses, renouvellement et densification) pour y accroitre les capacités d’accueil (logements, emplois, services, nature) tout en améliorant la qualité du cadre de vie.

Pour piloter l’activité, priorité à la donnée métier : « 90% de ce dont on a besoin, finalement nous le produisons nous-mêmes »

1. Connaitre et qualifier les stocks, sécuriser leur gestion

Le foncier est et reste la matière première du métier d’aménageur. Sa transformation (acquisition et ventes, découpage, travaux, usages, occupation pérenne ou transitoire) est au cœur des bilans opérationnels autant que du bilan de la structure (actifs immobilisés, fiscalité, …).

Avant même le ZAN, nombre d’opérations prévues, et parfois financées, achoppent pour des réseaux environnementales (logique ERC, zones humides, espèces protégées, …), économiques (nécessité de participations publiques, inflation des coûts, carence d’opérateur au vu des prix de sortie cibles…) ou politiques (cohérence entre développement et préservation des ressources à l’heure où les enjeux climatiques sont au cœur des débats démocratiques). Analyser le stock à risque, c’est donc d’abord mieux le connaitre, croiser les informations pour le qualifier.

Illustrons par le cas de la SEM-SPL départementale Loire-Atlantique développement (LAD) : avec plus de 400 opérations dont la moitié actives, totalisant plus de 3500 ha de foncier dont plus de 600 ha en propriété propre, l’aménageur s’est engagé en 2018 dans le développement d’un outil de suivi du stock foncier, opérationnel en 2020 et progressivement enrichi depuis de nouvelles fonctionnalités.

Ce foncier, dont l’aménageur se voit confier la transformation avec les droits subrogatoires associés, l’oblige à rendre des comptes (bilans financiers, état de propriété…). Harmoniser cette donnée est donc gage de qualité du service rendu. Métropolitain, littoral, périurbain ou rural, ce foncier est néanmoins soumis à des dynamiques intrinsèques contrastées, qu’elles soient démographiques ou économiques. Chaque opération est ainsi adaptée à son contexte. Cela signifie de fait que l’outil de pilotage du foncier opérationnel, harmonisé pour tous les projets, devra paradoxalement aider à la conception de projets sur mesure.

2. Clarifier les process

Un premier diagnostic en 2018 fait apparaitre de nombreux freins à la création d’un outil partagé : outils métiers spécifiques (pour l’achat, la vente aux particuliers, la vente aux institutionnels) ; capitalisation de données hors organisation et en fonction de chaque projet (notaires, géomètres) ; production cartographique essentiellement externalisée (architectes-urbanistes, BET) ; remontées d’informations (résultats, prévisionnels) par campagnes répétées chaque année ; absence d’outils numérique de terrain (simulation de lots, consultation de l’état foncier).

De premières productions (notes d’analyse, cartographies) suscitent l’intérêt des utilisateurs. Et le top départ de la démarche est donné par la direction générale. Pour l’alimenter, a été constitué un groupe de travail inter-métiers : ingénierie foncière, commercialisation, aménagement opérationnel, service informatique et pôle géomatique-cartographie.

Ce groupe a produit un schéma conceptuel des données à suivre (matrice-mère, lots, parcelles), une nomenclature partagée pour les qualifier, une interface de datavisualisation intégrant un module d’édition cartographique (permettant, par exemple, une édition immédiate des CRAC contre plusieurs jours auparavant) et un module BI (pour le pilotage global mais aussi le management des équipes).
Le principe a été de conserver en entrée les outils métiers, souvent récents et encore pour certains en cours d’appropriation par les équipes. Charge au pôle géomatique et au service SI de réaliser, en lien avec les fournisseurs de logiciels, les API nécessaires pour piocher dans chaque application les données à verser en temps réel dans un système d’information commun, ressource gérée sous PostGre pour alimenter les interfaces spatiales et analytiques. En 2019, l’ensemble des périmètres opérationnels étaient saisis, en 2020, la nomenclature, le schéma conceptuel et les premières API, en 2021 l’interface géographique et analytique.

3. Interopérer avec les partenaires

La création d’un outil normalisé en interne a permis qu’il soit enrichi pour tous les retours d’usages propres à chaque projet et utilisateur. Systématisé dès l’amont des projets, il facilite leur adaptation au contexte lors des études préalables, et leur suivi harmonisé dès le lancement.

Outil de dialogue avec la collectivité, il nourrit aussi la concertation avec les habitants et la capitalisation de l’information entre acteurs de l’opération (intégration de livrables SIG dans les cahiers des charges de tiers).
Il permet enfin d’échanger de manière plus efficiente avec les services fiscaux (base de données unique, répondant à plusieurs dizaines d’avis d’imposition, permettant d’identifier et de corriger des anomalies) et de contribuer aux initiatives des collectivités en matière de digitalisation des procédures d’urbanisme, des réseaux et infrastructures.

Pour mesurer l’impact, l’intérêt de partager données publiques et privées

1. Comprendre le contexte d’intervention

En matière de compréhension du contexte d’intervention, l’organisation s’appuyait essentiellement sur des observatoires publics (Insee, agences d’urbanisme), une ressource interne (sur-mobilisée) et un contrat de prestation du service commercialisation avec la société ADEQUATION.
L’intégration de compétences internes a permis d’automatiser la production de mémos communaux « 10 chiffres clés pour dialoguer avec le maire », et d’accompagner le service commercialisation dans la création d’un module BI d’analyse des marchés complété par une montée en gamme du contrat passé avec ADEQUATION (marchés locatifs, typologies ménages cibles).

En enrichissant les données internes de données de tiers, publiques et privées, ces fonctionnalités sont non seulement utiles en interne pour l’engagement des projets, mais elles le sont aussi pour étayer l’offre de service en outils d’animation de la réflexion pré-opérationnelle (quizz, études flash, enquêtes habitants et opérateurs).

2. Saisir les opportunités et maitriser les risques

Le croisement des données internes et externes permet aussi de mieux évaluer les risques liés aux projets. Ayant intégré une compétence d’ingénierie écologique, l’aménageur la mobilise très en amont des projets pour un premier diagnostic avant engagement d’études faune flore plus poussées. Dès ce stade, une alerte sur la faisabilité du projet permet de le réorienter à moindre coût vers des fonciers plus opportuns.
En intégrant les données issues des études environnementales, l’opération bénéficie également d’un « état zéro » propice à l’évaluation à terme de son impact ZAN.

Agrégées, ces données permettront de quantifier le risque environnemental sur le stock foncier historique, d’échanger avec les partenaires et actionnaires sur leur devenir (abandon, reprise, changement de programme).
Il en est de même de l’analyse de la dureté foncière, fruit de l’expérience et des données à disposition (dynamique de transactions, état de propriété et d’occupation), ou des marchés immobiliers déjà citée. L’automatisation des mémos chiffrés, qui intégreront de façon croissante les données ménages-prospects captées par le service commercialisation, libère un temps utile à l’interrogation de premiers opérateurs pour évaluer l’attractivité du projet envisagé, adapter la programmation et anticiper un risque de commercialisation.

3. En clair, il s’agit d’aider à passer d’un projet désirable à un projet faisable et viable.

Maitriser l’ensemble des paramètres d’une opération d’aménagement demande une multiplicité de compétences techniques, réglementaires, financières, politiques… Les mobiliser toutes, au cas par cas, dès l’étude d’opportunité coûtait cher.

En réponse, les outils et fonctionnalités d’un système d’information géré en continu permettent de graduer l’offre, en la basant sur une logique de « go no go » à chaque étape de la conception du projet et d’agréger, lorsque nécessaire, les compétences indispensables à l’approfondissement des sujets traités (BET, économistes…).

4. Valoriser l’impact

La data foncière est bien évidemment nécessaire à l’évaluation ex ante de l’impact ZAN de l’aménageur (artificialisation, renaturation, dépollution).

Elle permet aussi, par les compétences et outils développées pour ce faire, de capitaliser, analyser et valoriser d’autres données captées. On peut citer le nombre de logements produits sur les opérations confiées, mais aussi le profil des ménages acquéreurs, ou en matière socio-économique, le maintien ou le développement de l’emploi et des services.
Ces données, confrontées aux dynamiques locales, permettent ainsi de qualifier l’impact spécifique de l’opérateur au service de l’intérêt général et, par ce positionnement, de clarifier la complémentarité et l’additionnalité de ses compétences avec celles des services de collectivités ou d’opérateurs tiers, publics ou privés (EPF, promoteurs, bailleurs…).

Pour accompagner l’évolution des métiers, déployer une pratique de la donnée qui concilie transition digitale et culture professionnelle « artisanale », « tous uniques »

1. Faciliter l’usage des outils digitaux

On l’a vu, un nouvel outil doit tenir compte des outils préexistants. L’acceptation et, mieux, l’appropriation par les salariés demandent aussi qu’ils répondent à des besoins concrets tels que l’édition de cartes, la consultation en mobilité, la recherche rapide d’information.

Autant d’usages (dans le cas d’espèce, plus de 5200 connexions au SIG en 2 ans) qui font intervenir des outils internes et externes dont l’évolution est à concevoir dans une logique d’amélioration continue. De même que la relation au client nourrit le commercial d’un fournisseur de solution, la relation au salarié est indispensable au déploiement d’une culture de la data au sein de l’entreprise.

2. Optimiser les tâches

L’optimisation des tâches présente un intérêt comptable par réduction du temps passé. « Saisir une fois mais bien » est moins chronophage, tant en entrée qu’en analyse. Cela permet, en outre, de visualiser en temps réel un résultat corrigé d’une donnée d’entrée, sans attendre une campagne d’actualisation plurimensuelle.
Elle présente aussi un intérêt pour la qualité de travail du salarié. Les saisies redondantes sont sources de perte de temps, d’incompréhension des injonctions, voire d’erreurs potentielles et donc de stress. En outre, ce temps gagné, peut être affecté à d’autres tâches personnelles ou collectives. Le spectre des possibilités ouvertes dépend ensuite de chaque structure et poste concerné.

La data contribue ainsi, au plus proche de la réalité du travail de chacun, à une vision bottom up du « mieux faire » dans l’organisation de l’entreprise. Une attention particulière doit donc être portée à l’implication des managers dans la pédagogie de la démarche, les consignes d’utilisation, l’écoute des retours d’expérience, l’exemplarité dans l’usage pour le suivi opérationnel, et la reconnaissance de l’implication de chacun dans l’appropriation des outils. Au sein d’une agence d’ingénierie publique, on retrouve souvent un assemblage de compétences très diverses, plus ou moins inter-agissantes.

Par la data, et les outils et compétences connexes, la démarche sur le foncier peut être utile aux autres domaines d’activités : construction, énergie, développement économique, tourisme, patrimoine… Et cela pour la constitution d’observatoires, le formatage d’études d’opportunités, le pilotage d’activités commerciales (vente de biens et services).
Pour ce faire, l’implication de la comptabilité dans la culture data de l’organisation passe d’utile en phase démonstratrice à indispensable en phase de déploiement. Le principe de système d’information partagé connecté par API aux outils métiers participe à faciliter cette implication.

3. Développer la valeur ajoutée

L’automatisation de tâches, le temps libéré, l’interopérabilité entre métiers et partenaires, sont autant d’opportunités d’enrichissement de l’offre, d’innovation ou de formation pour accroitre la valeur ajoutée de l’organisation.
La qualité harmonisée des livrables et le potentiel d’analyse de l’impact des activités servent leur communication et leur adaptation à chaque cible visée (particuliers, entreprises, actionnaires, institutionnels, réseaux professionnels).
Face aux mutations des modèles économiques de l’aménagement, remis en cause par la généralisation du ZAN, se doter de tels outils est plus qu’utile pour penser de nouveaux modèles et faire évoluer les métiers dans un contexte de mutation de l’ensemble de l’ingénierie publique et privée (EPF, foncières…) et d’émergence de nouveaux acteurs (IA, Proptech).

Sécuriser la donnée, c’est, pour conclure, gagner en transparence tant sur le choix des projets que sur l’usage des deniers publics. Evaluer l’impact, c’est aussi objectiver les contributions d’actions opérationnelles à la vision collective du développement local, et ce d’autant plus qu’elles auront aussi servi à alimenter sa co-construction. Faire évoluer le métier, c’est enfin rester attractifs auprès des jeunes diplômés, et s’adapter aux nouvelles appétences sociétales.

Conclusion

Que ce soit à l’occasion de la création d’observatoire fonciers ou immobiliers en agence d’urbanisme ou d’outils de pilotage opérationnels chez l’aménageur public, force est de constater l’intérêt à 360° de la data, tant pour l’intérêt général des politiques d’aménagement du territoire, que pour l’exercice de l’activité des acteurs concernés.
La culture de la donnée est avant tout au service de ses utilisateurs qui en sont pour partie, à des degrés divers, les producteurs. Cette production est complémentaire des données publiques de plus en plus ouvertes sous l’impulsion de l’Europe, de l’Etat et des collectivités. Agrégées, elles constituent une ressource potentiellement utile à tous dans un cadre respectueux de chacun.

Produire et utiliser la « data privée » pour mieux faire, faire ensemble et faire savoir, nécessite d’être attentif au contexte propre à l’acteur qui s’engage dans ce type de démarche : prendre en compte l’existant, prioriser la réponse aux enjeux propres à l’activité de la structure, impliquer collaborateurs, management et fonctions support avant de déployer… Et pour tout dire, maitriser le premier pas pour sécuriser les évolutions dans un contexte potentiellement anxiogène et partager plus sereinement sur la base de partenariats gagnant-gagnant.


A propos de l’auteur :
Jean-Pascal Hébrard est un professionnel de l’adaptation des stratégies territoriales et de l’action opérationnelle aux transitions sociétales, climatiques et digitales. Il aide les collectivités et opérateurs publics et privés à prendre de la hauteur dans le développement de leurs projets pour les adapter aux évolutions du contexte d’intervention, cibler leurs actions, optimiser leurs ressources et sécuriser leur mise en œuvre avec les parties prenantes pertinentes. Pour cela, il utilise des méthodes prospectives et d’analyse stratégique tournées vers l’innovation et la capacité d’action, la fertilisation croisée des expertises d’usages et de la data ainsi qu’une veille continue des dispositifs réglementaires, orientations nationales et expérimentations locales qu’il entretient notamment au sein de réseaux professionnels locaux et nationaux.
Exerçant depuis 30 ans en agence d’urbanisme et aménageurs en lien avec les réseaux professionnels locaux et nationaux, il est aujourd’hui consultant indépendant. Il témoigne ici de son expérience de la data dans le développement d’outils d’observation, d’aide à la décision et de pilotage opérationnel pour mieux faire, faire ensemble et faire savoir.

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Crédit photo : Pexels

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