Données publiques, données privées : quelles complémentarités ?

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Comment faciliter la réutilisation des données publiques ? Et l’interopérabilité avec les données privées ? En commençant par les distribuer au sein d’une même plateforme. A l’initiative d’acteurs privés, et en résonnance aux actions portées par l’Etat, notamment depuis la loi « République Numérique », la société à mission realdata for real estate va proposer une plateforme de distribution de leurs produits aux offreurs de données et de solutions digitales dans les domaines du foncier, de l’immobilier, de la construction et de l’urbain. Ce projet s’adresse avant tout aux utilisateurs (bureaux d’études, sociétés privées, collectivités, entreprises publiques) et aux chercheurs qui pourront ainsi avoir accès sous différents formats (open data, API, fichiers à plat) à des jeux de données répondant à des critères de qualité, d’actualisation, d’interopérabilité (souhaitée)…apportant ainsi des réponses ciblées à leurs besoins.

Une action privée qui s’inscrit dans une démarche d’intérêt général

Dans le contexte actuel, de l’action publique sur les données, organisée autour d’une direction du Numérique auprès du Premier Ministre (décret d’avril 2023), il apparait utile de bien positionner ce projet privé de plateforme, et de l’inscrire dans une démarche d’intérêt général.
Ce premier point est à mettre en avant afin de présenter cette plateforme comme un élément d’un système d’offre de données qui doit trouver son équilibre partagé et complémentaire.

La partie « commerciale » de cette « Place de Marché » doit être ainsi la conséquence d’une offre référentielle des jeux de données qui seront proposés. Le positionnement « données publiques / données privées » trouvera tout son sens dans un jeu concurrentiel apaisé. C’est l’usage de la plateforme et le nombre de téléchargements qui donneront les arguments pour identifier les positions incontournables.

Laisser la sphère privée s’emparer des données publiques…pour aller plus loin

Idéalement, il faudrait que tous les référentiels puissent se parler. realdata pourrait accompagner ce process et travailler sur cette interopérabilité. En effet, tous ces référentiels peuvent être complémentaires.

FOCUS

La nécessaire coexistence de plusieurs référentiels publics et privés

Le croisement aisé de données de sources différentes est une belle promesse pour l’utilisateur final. Elle passe néanmoins par des problématiques d’interopérabilité que certains pourraient tenter de résoudre en cherchant à s’imposer comme référentiel unique. Ce serait une erreur d’un point de vue marché.

En effet, s’il peut sembler simple à l’esprit de créer une base de jumeaux numériques universelle, en calquant la représentation que l’on se fait de l’immobilier que l’on connaît tous (une parcelle cadastrale, un immeuble, des lots, …), sa réalisation est loin d’être simple… Et un élément déterminant impacte fortement ce référentiel : l’usage que l’on souhaite en faire. Ainsi, on ne structurera pas un référentiel de la même façon, si l’on s’intéresse uniquement au parcellaire, ou à l’exploitation d’un immeuble.
De fait, plusieurs référentiels publics et privés existent, et d’autres verront probablement le jour. Les utilisateurs finaux pourront les choisir en fonction des buts recherchés et, si plusieurs répondent aux mêmes usages, les meilleurs s’imposeront naturellement au marché par leur qualité, leur niveau de compatibilité et d’ouverture à d’autres bases, et l’expertise des équipes les ayant constitués.

La réponse à l’interopérabilité ne passera donc pas par l’imposition d’un référentiel unique, utopique, mais par des éléments communs à chaque référentiel, que les acteurs publics et privés devront définir, et s’imposer d’utiliser dans toute base mise en commun. L’initiative de realdata prend alors tout son sens, car le marché aura besoin d’un tiers de confiance pour la définition collégiale de ces éléments communs, et d’un garant des bonnes pratiques.

Thomas Soares, Associé cofondateur et directeur général de la Place de l’Immobilier, diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers ParisTech

Toutefois, cela nécessite une période d’apprentissage de la part des opérateurs privés, à l’instar de l’action du GnDVF1 et du LIFTI2 sur les données foncières, en échange avec le Cerema et ses propres développements sur DVF+ et DV3F.

Par exemple, le CSTB3 a constitué la Base de Données Nationale des Bâtiments (BDNB) dans une approche transversale intégrant des informations à l’immeuble provenant de plus de 20 bases de données publiques. Le CSTB pourrait proposer son identifiant de groupe bâtimentaire comme référence, en créant les conditions de l’interopérabilité des données bâtimentaires, ce qui donnerait plus de force aux données publiques, et permettrait aussi d’enrichir les analyses des données que la sphère publique n’est pas en capacité de produire (morphologie, granulométrie, juridique, gestion d’immeuble,…). Pour illustrer ceci, une grille de lecture des « use case » de la BDNB pourrait montrer les cas couverts par elle et ceux devant intégrer des données du privé ou d’autres données publiques.

S’investir là où les données de la sphère publique ne peuvent aller…

Des freins juridiques font que cette interopérabilité n’est pas encore une réalité, tant pour les données publiques entre elles et, à fortiori, avec les données privées. Cette interopérabilité multiscalaire est la condition de la reconnaissance de la diversité des territoires et d’une aide appropriée aux situations locales.

Par exemple, les données publiques ne sont pas forcément suffisantes pour répondre en tout point aux besoins de détail des métropoles et des agglomérations équipées de SIG fonciers et urbains. Cette interdépendance des données publiques et privées est, à notre sens, à construire en organisant progressivement une convergence, permettant notamment un maillage spatial (hiérarchie de territoires), des traitements thématiques multiples. Sur ce point, la donnée privée est à une place que la donnée publique ne parait pas pouvoir occuper pour des raisons économiques …

Des données publiques qui acceptent de se parler pour l’intérêt général !

Les données publiques ne doivent pas être concurrentes entre elles et peuvent être le socle qui permet l’interopérabilité.

On ne risquera pas que l’open data de la DGFiP4, dont le LIFTI vient d’interpeller le directeur général pour poursuivre l’ouverture des bases foncières, n’entre en concurrence avec d’autres données publiques, dès lors que leur convergence sera définitivement organisée. La sphère privée n’aura pas de mal à reconnaître ici tout l’intérêt du pilotage confié à la DiNum5.

FOCUS

Rejoindre la DiNum sur ses objectifs et apporter une valeur ajoutée spécifique

data.gouv.fr, la plateforme d’open data de l’Etat, se positionne comme un catalogue général de référencement, mais également de qualification (indicateur de qualité des métadonnées par exemple), de toutes les données ouvertes, quel que soit leur producteur. Portée historiquement par la mission Etalab et désormais le département « Opérateur des produits interministériels » de la DiNum, la plateforme incite en effet tous les acteurs publics comme privés à référencer à la fois les données mais aussi les schémas de données ouverts sur data.gouv.fr.

Le premier plus que pourrait apporter realdata serait d’accroître et de diversifier la réutilisation des données ouvertes par le public dans le secteur privé ; un des objectifs portés par la DiNum. Pour cela, il ne faudra pas négliger l’investissement nécessaire au suivi du foisonnement et de la richesse des usages, mais aussi à la mesure des limites éventuelles des données publiées en open data sur data.gouv.fr. En complément, realdata permettra par son interface de simplifier l’identification des données ouvertes pertinentes pour le secteur immobilier dans la diversité de ses usages.

realdata va aussi offrir la possibilité de référencer et qualifier les données privées payantes (hors sphère open data) et d’augmenter le nombre d’utilisateurs, tant privés que publics, qui y ont recours. Cela passera nécessairement par la création d’un climat de confiance avec et entre les opérateurs privés, producteurs de données dans le champ concurrentiel. Une des valeurs ajoutées de realdata sera donc la qualification du marché des données privées, ainsi que la description des complémentarités et passerelles vers la sphère open data portée par l’Etat. A terme, on aura peut-être les moyens, dans ce cadre ou dans un autre, de faire grossir et d’évaluer le quantum des données privées qui pourraient faire l’objet d’une telle convergence.

Des étapes à franchir….jusqu’au tiers de confiance ?

La « place de marché » proposée par realdata trouve ici tout son sens, avec des données référentielles de différents niveaux (spatiaux et thématiques) qui révèleront leur utilité au gré des usages facilités par cette Place. L’intérêt public serait ainsi de voir se dessiner un système référentiel nourri par une classification de la donnée privée, segmentée en 6 familles composées de 28 catégories, dont la complémentarité permettra de répondre aux objectifs des politiques publiques portées notamment par l’Etat. Il y a donc là un intérêt à retrouver les données publiques dans ce système initié par realdata, au service des utilisateurs du secteur public et du secteur privé, et des chercheurs.

Il y a une réciprocité indispensable à promouvoir, et cet effort trouve ici toute sa place et sa valeur ajoutée. La sphère privée doit être dans une dynamique de construction partagée, et doit avant tout :

  • Mettre en confiance et bien identifier les cas d’usage relevant de l’open data public et ceux reposant sur l’ajout de données privées ;
  • Voir ce qui manque dans les données publiques, car cela peut permettre d’inspirer de nouveaux développements au secteur privé, et d’accroître la valeur créée par l’économie du numérique ;
  • Aller vers l’interopérabilité : on rappelle que l’Etat a plusieurs fois parlé d’intégrer de la donnée privée dans leurs études et realdata peut permettre de faire émerger les tiers de confiance nécessaires à ces intégrations.
  • Proposer un cadre de distribution qui doit être mixte public / privé.


1. GnDVF : Groupe national Demande des Valeurs Foncières, www.groupe-dvf.fr
2. LIFTI : Laboratoire d’Initiatives Foncières et Territoriales Innovantes, www. lifti.org
3. CSTB : Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, www.cstb.fr
4. DGFiP : Direction Générale des Finances Publiques
5. DiNum : Direction interministérielle du Numérique, www.numerique.gouv.fr

A propos de l’auteur :
Jean-Louis Fournier, Co-animateur du comité Stratégie Foncière et Territoriale et ancien membre du conseil d’administration du LIFTI. Jean-Louis Fournier s’est investi dans les données foncières, d’abord au sein de l’ADEF puis au GnDVF qu’il a animé, jusqu’à l’ouverture de DVF au public en 2019. De 1998 à 2019, il a contribué à la construction de la stratégie foncière de Bordeaux Métropole. Aujourd’hui retraité, il est titulaire d’un doctorat en Aménagement, après des études de droit et d’économie régionale.

Crédit photo : Adobe stock

2 commentaires sur “Données publiques, données privées : quelles complémentarités ?”

  1. Jean-Louis Fournier

    RealData…Voilà une initiative qui nous interesse au LIFTI, car elle va dans le sens de l’ouverture partagée des données, et si l’Etat s’investit fortement, on ne peut rester sans l’apport des données privées…. et il faut encourager cette très opportune proposition d’ouverture entre public et privé.

    1. Laurent ESCOBAR

      Et contribuer ainsi à la réutilisation des données publiques et à leur interopérabilité avec les données privées. Merci, Jean-Louis, à un prochain article.

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